Mérindol et Cabrières

histoire vaucluse

Histoire mémorable de la persécution et saccagement du peuple de Mérindol et Cabrières et autres circonvoisins, appelez vaudois  – 1555

Célèbre pamphlet contre l'Église catholique rédigé par un auteur qui a voulu garder l'anonymat.

Selon plusieurs sources cet ouvrage a été attribué à Jean Crespin, imprimeur à Genève. Il imprime de 1550 à sa mort quelque deux centcinquante éditions. Sa production est essentiellement religieuse et tournée vers les pays francophones. Jean Crespin est l'auteur du célèbre « Livre des Martyrs » qui est « un recueil de pluſieurs Martyrs qui ont enduré la mort pour le Nom de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt, depuis Ieã Husiuſques à ceſte année preſente M.D.LIIII. »

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Preface a tovs lecteuvrs chrestiens.

Ce qui abbrutit auiourdhuy la plus part des hommes, & leur oste le iugemẽt de diſcerner entre la vraye & fauſſe egliſe, vient de ce, qu’estans nonchalans & peu curieux des choses concernantes leur ſalut, ſe fiẽt & repoſent ſur ce qu’ils voyẽt estre receu de grãde anciẽneté. Tels ſe peuuẽt ordonner en deux bandes. En la premiere ſont les gens de lettres, leſquels tendans à choſes hautes & à ſplendeur de la vie, & ayans acquis par leur ſauoir vn iugement politique, ſe contentent de l’opinion qu’ils ont ſuccée auec le laict de leur nourrice: estimans vne honnesteté & prudence non vulgaire, de maintenir les traditiõs paternelles, ſans autrement les examiner au niueau de la verité. Telle maniere de gens à beau lire l’Eſcriture ſaincte, ou les histoires eſcrites depuis. Car quant à l’Eſcriture, ils ont le iugement preoccupé, & comme enſorcellé par les eſchapatoires & deprauées interpretations de leurs faux docteurs. Quant aux histoires, ils s’en vont le grand chemin auec le vulgaire des historiens, qui ont eu preſques tous la plume venale: & ſe ſont accommodez au iugement de la commune, ſans oſer coucher vn ſeul traict cõtre ce qui auoit prins profondes racines aux cœurs des hommes, touchant la religion. Pour exemple, s’ils viennent à reciter les cõplots, monopoles, brigues, menées, ſeditions, brigandages, carnages & ſaccagemens, par leſquels les Sanctiſsimes & Beatiſsimes de Rome ont furieuſement abastardi & maſſacré la maiesté & puiſſance des Rois & Empereurs, ordõnée de Dieu : ils ſe garderõt fort bien de donner le tort à ces incubateurs du ſiege diuin, ſi ce n’est que l’amour de leur pays, ou de leurs princes les induiſe à gratter la rongne de tels vilains.

Si le Pape a cõdamné quelques ſaincts perſonnages auec leur doctrine cõme meſchans & heretiques, ſi hardi que meſſieurs les historiens ne les tiennent pour tels, & qu’ils ne ſe deſpouillent de tout iugement, pour s’aſſubiettir par vne humilité bestiale, à la determinatiõ de leur mere ſaincte Egliſe. Parquoy tels doctes, dõt à preſent nous parlons, ſe mettront iustement du reng de ceux, qui (ſelon le dire de ſainct Paul) apprennẽt touſiours, & ne paruiennent iamais à la ſcience de verité. L’autre bande est des ignorans & bestes, leſquels endormiz & aueuglez des façons preſentes, penſent que la religion a touſiours esté ainsi cõduite, si que rien ne ſe peut changer ſãs meſler le ciel auec la terre, & confondre l’vniuerſité des choses. Bien est vray qu’ils s’estonnent aujourdhuy, quand ils en tendent qu’il y a certaines Egliſes Chrestiennes, qui ſe maintiennent & reiglent, ſans rien emprunter ou tenir des loix Papales. Car il ne leur entra iamais au cerueau qu’il y eust autre Ieſus Christ, ſinon celuy qui estoit iſſu de la fonte & forge Papale : hors cestuy tout estoit heretique, Sarrazin, Turc & Payen. Cependant auſsi ſatan a eſpandu ſes tenebres, auſsi tost que Christ a faict luire le brandon de ſa lumiere : mais (teſmoing Euſebe en l’histoire Eccleſiastique,) la grande corruption de la doctrine Euangelique, est venue apres que les Apostres & diſciples du Seigneur (qui de leur viuant entretenoyent la religion en ſa purité, & ſeruoyent d’oracles au peuple Chrestien) estans en ſinguliere reuerence & estime, ont esté recueillis de ce mõde. Car lors il en est pris à la primitiue Egliſe; ſelon ce qui est eſcrit au deuxieme des Iuges touchant l’Egliſe des Iuifs : C’est, que le peuple ſeruit au Seigneur tout le temps de Ioſué, & des anciẽs qui ſurueſquirent apres luy : leſquels auoyẽt veu les œuures merueilleuſes du Seigneur. Mais apres que toute ceste generation fut recueillie auec ſes peres, vne autre ſe leua apres iceux, laquelle ne cogneut point le Seigneur, ne les œuures qu’il auoit faittes pour Iſrael.

Il ſeroit icy trop long de deſduire les ſources dõt les villenies & meſchancetez ſont decoulées en l’Egliſe, & les choſes touſiours allées de mal en pis. Il ſuffira à presſt, de propoſer deux cauſes. L’vne vient du naturel de l’homme, lequel aime ſeruir Dieu par mines exterieures, ceremonies & parades, ſans y employer le cœur. La ſeconde est venue de la negligẽce des pasteurs. Car ſe voyãs auoir affaire à gens rudes, & groſsiers, qui freſchemẽt conuertiz de l’idolatrie Payenne ne pouuoyẽt oublier leurs ſuperstitiõs ou par deſir de leur complaire, ou par crainte de la reuolte & retour au vomiſſement, ont penſé beaucoup faire de les induire à conuertir icelles leurs ceremonies à l’honneur de Dieu: estimãs tout aller bien, pourueu que le tout se fist à bonne intention, qu’ils appelent, & ſous le tiltre & ombre de ſeruir à Dieu. Qu’ainſi ſoit, pourroit-on imaginer plus grande badinerie, que celle qui ſe pratiquoit en l’aſſemblée des Chrestiens (lieu de toute grauité & ſaincteté) meſme du tẽps de S. Augustin ? Car quand aucun les cõtentoit en predication, ils frappoyẽt des mains, comme applaudiſſans à vn bastelleur au theatre. Et neantmoins ſi nous conferons ce temps la au preſent, il y a trop plus de difference qu’entre l’aage d’or & celle de fer : iaçoit que dés lors ledict Augustin ſe plaignist que la religion Chrestienne, laquelle le Seigneur, Ieſus auoit voulu estre libre, occupée ſeulemẽt en deux ſacremens, estoit ia chargée de ceremonies innumerables, en ſorte que la condition des Iuifs estoit plus tolerable que celle des Chrestiens : à raiſon que quelque fardeau de manieres de faire que les Iuifs portaſſent, ſi les auoyent-ils de diuine institutiõ, & non d’humaine preſomption. Ie vous prie, quelles complaintes, quelles exclamations feroit-il, s’il voyoit la hideuſe & miſerable face de l’Egliſe d’auiourdhuy ? Il n’y a eu ſi petit vilain moine (pourueu qu’il ſe ſoit veu en quelque credit) qui n’ait forgé ou rapetaſſé quelque badinage de ſeruice, nouueau, pour contenter Dieu à ſa poste. En quoy nous auons bien matiere d’adorer en crainte & tremblement les eſpouuantables iugemens du Seigneur. Lequel irrité par l’ingratitude des hommes, & meſpris de la ſaincte parole, a frappé ſon Egliſe de tel aueuglement, que ſous le nom de Christ & des Saincts, toute l’idolatrie des ancestres Payẽs a esté restabli par le menu.

D’autre costé nous auons à recognoistre, louer & magnifier auec actiõ de graces l’inestimable & indicible bonté du Pere celeste, lequel n’a iamais abandonné tellement ſon Egliſe (laquelle autremẽt eust esté semblable à Sodome & Gomorre) qu’il ne luy ait laicté quelque ſemence : de laquelle puis apres il ait produit le fruict de sa cognoiſſance. Car en ce meſme temps Dieu ſuſcita vn perſonnage, lequel touché d’vn autre eſprit que ces Caphards, monstra assez l’ingratitude & rebellion des hommes, enuers la diuine viſitation, & le ſalaire de ceux qui s’employent à auancer la verité, au ſalut & profit de l’Egliſe. Ce perſonnage estoit nommé Vualdo, grand riche marchant de Lyon. Iceluy diuinement inſpiré commença à conſiderer, gemir & lamenter la ruine & deſolation du poure peuple Chrestien, lequel estoit comme poures brebis, eſgaré, n’ayant point de pasteur. Car ceux qui lors tenoyent le lieu de pasteurs, n’estoyent rien moins. Vualdo donques, deſirant remedier à telles playes, entendit tres bien en quelle boutique il falloit cercher la medecine. Et pour-autant qu’il estoit homme indoce, & que la parole de Dieu estoit forcloſe de la langue vulgaire, il donnoit argent à quelques ſauvans, pour luy tranſlater les ſainctes lettres, & quelques paſſages des anciens, & plus purs Docteurs. Par ce moyen la cognoiſſance de verité print grand accroiſſement en l’eſprit de Vualdo, qui conferant la forme de la religion de ſon temps à l’infallible reigle de la parole de Dieu, voyoit à l’œil qu’il n’y auoit aucun accord. Et ſignamment, que l’ambition & auarice de ceux qui vsurpoyent le gouuernement de l’Egliſe, estoit la cauſe du deſordre. Parquoy deuant toutes choſes il voulut practiquer le dire du Seigneur, Si tu veux estre parfaict, va, ven tout ce que tu as & le donne aux poures.

Ce qu’ayant faict Vualdo, commença en grande modestie, en grande vehemence & liberté, deſcouurir les abus & meſchancetez des Eccleſiastiques, en ſorte que pluſieurs eſmeus par ſa doctrine & ſaincteté de vie s’adioignirent à luy : qui furent nommez Vaudois, ou Poures de Lyon, qui à l’exemple de Vualdo trauailloyent à instruire le peuple par vie & parole. - Leur poinct principal qui lors desbendoit les yeux, & ostoit l’esbloiſſement & brouées d’ignorance, reſpandues ſur la terre estoit, Que tenans Christ pour ſeul Sauueur & chef de l’Egliſe, par conſequence le Pape leur estoit pour Antechrist, & ſa doctrine pour poiſon mortelle. Il ne faut icy demander ſi cependant le diable dormoit, ne faiſant conte de maintenir ſon ancienne poſſeſsion. Car premierement, pource que le nom & l’integrité de Vualdo & des ſiens estoit telle, que de primſaut les Ecclesiastiques n’oſoyent humer leur ſang, ils leur firent bien cest honneur de les aduertir de desister de leur entreprinſe : veu que nul ne ſe deuoit ingerer de preſcher ſans l’autorité ordinaire des Prelats. Aquoy Vualdo & les ſiens ſeurent bien que reſpondre, les rembarrans par l’autorité des Apostres : qui diſent apertement, estre plus beſoing d’obeir à Dieu qu’aux hommes. Apres telle reſponſe il ne fut question que de aller aux cousteaux. Car le Pape les declaira heretiques, pour fermer les oreilles de tout le peuple à la verité. Puis non content de cela, il eſmeut le Roy & Princes de France à les perſecuter & ſaccager. Qui fut cauſe que ces bonnes gens se reſpandirent par diuers lieux de l’Europe, eſquels maugré la furie des hommes & diables, ils ont entretenu quelque purité de la religion , la baillant de main en main à leurs ſucceſſeurs. Et pour ce faire entretenoyent quelques enfans de bon eſprit, qui apres leur ſeruoyent de Ministres: ausquels deuant toutes choses ils failoyẽt apprẽdre par cœur l’Euangile ſelon S. Matthieu, & la premiere Epistre de S.Paul à Timothée. L’Euangile, pour instruire le peuple : l’Epistre, pour ſauoir cõment il ſe deuoit cõduire en ſa charge.

Ces Ministres nommez Barbes ou Oncles, alloyẽt de lieu en autre, ſans long temps seiourner en lieu: & pour cõſoler & enhorter ce poure peuple le plus les aſſembloyent de nuict, quelque fois en vne fosse ou quarriere, pour crainte de la perſecution. Ces aſſemblées clandestines ont donné occaſion aux meſchãs de les charger de toutes calomnies: cõme on auoit faict les Chrestiens en la primitiue Egliſe, lesquels auſsi cõuenoyẽt en ſecret. Ils ont esté estimez du vulgaire, incestueux, ſorciers, enchãteurs, & du tout dediez aux diables: faiſans cõuenticules, tant pour excercer paillardiſes & autres choſes execrables, que pour faire leur ſabbath (il vſe de leurs termes) auec le diable qui là ſe preſentoit. Voila comme les ſeruiteurs de Christ ſont diffamez.Voila comme le monde s’informe de la verité, appelant la lumiere tenebres, & tenebres lumiere. Et neantmoins ces fauſſes calomnies n’ont peu tant preiudicier à la verité, que l’innocence & ſaincteté des Vaudois n’ait esté cogneue par quelques vns de bon eſprit, qui curieuſement s’en ſont informez. Entre les autres on peut bien receuoir le teſmoignage de Maistre Claude de Seiſel, Archeueſque de Thurin, homme de grand ſauoir pour ſon temps, & Ambaſſadeur du Roy Louys douz’ieme. Lequel, cõbiẽ qu’il fust leur ennemi (teſmoing le liure en Latin qu’il a eſcrit contre eux) & les estimant meſchans & deſuoyez quant à la doctrine: confeſſe toutesfois comme par contrainte, qu’ils sont gens entiers & irreprehenſibles, quant à ce qui touche l’obſeruation des commandemens de Dieu. Que s’il eust leu la confeſsion de foy que les Vaudois de Boheme, estans tyranniſez & cruellement perſecutez, enuoyerent à Vladiſlaus, roy de Hongrie & Boheme, l’an 1508, auec la reſponse ou defenſe contre les calomnies d’vn certain Docteur nommé Augustin : il eust eu cauſe de ſe contenter, & confeſſer que non ſans grandes & euidentes raiſons ils s’estoyent ſeparez de l’Egliſe Romaine. Parquoy maintenant tous Chrestiens doyuent autrement estre informez des Vaudois, & les tenir pour gens de bien & imitateurs du ſainct Euangile, pour lequel ils ont esté de nostre temps si cruellement maſſacrez & mis à ſac, à Cabrieres & Merindol.

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